À la base, son job c’est la transformation et la gestion globale d’un espace commercial. Mais en soulevant le couvercle de la Cité internationale de la gastronomie et du vin, William Krief a mis le nez dans ce qui mijotait. Le promoteur immobilier de K-Rei a donc créé une filiale nommée « Village gastronomique » qui assurera non seulement la gestion transversale du projet, mais se réservera aussi un espace d’animations digne de Top Chef. Recette d’un succès annoncé.
Dijon était pour nous une sorte d’Ovni. » William Krief ne se cache pas derrière son petit doigt pour raconter les prémices d’une histoire un peu folle qui le conduit aujourd’hui, lui le professionnel de l’immobilier, à devenir un producteur d’événements culinaires. Son groupe familial K-Rei était au tout début de cette histoire en relation avec Eiffage, chargé de l’aménagement d’un grand projet structurant au sud de l’agglomération dijonnaise. Jusque-là rien d’inhabituel, sinon l’existence au cœur du sujet d’un pôle culturel médiatisé avant l’heure : l’une des quatre cités de la gastronomie désignées par l’État sous François Hollande pour défendre le repas gastronomique des Français, consacré patrimoine culturel immatériel de l’humanité sous Nicolas Sarkozy.
Dijon top cité
William Krief a bien fait. D’abord parce que Dijon est en passe de devenir la première réalisation concrète du projet transversal des quatre cités. Tours s’est un peu endormie, Rungis n’est pas encore prête, Lyon a pêché par excès de précipitation et a déjà fermé neuf mois à peine après son ouverture… La métropole bourguignonne, bien que contrariée par la crise sanitaire, sort donc grandie de la tempête. Le projet verra le jour au printemps 2022. Le boss de K-Rei ne s’est pas seulement contenté de prendre en main 8 000 m2 de surface immobilière pour les distribuer. Il s’implique personnellement dans un grand espace expérientiel culinaire qu’il se garde pour lui, on va y revenir.
Pour bien comprendre comment tout cela fonctionne, reprenons certains points. Initialement, Dijon doit assurer la reconversion d’un site stratégique, totalement en friche après le départ de l’hôpital général. C’est à l’entrée sud de
la ville, un secteur dont le tramway a redessiné les accès, pas très loin de la gare et à deux pas du quartier du Port du canal, qui marque le kilomètre zéro de la route des Grands Crus.
Dans le même temps, l’État lance un appel à candidature pour désigner la ville emblématique du Repas gastronomique des Français. Il tombe à pic. Dijon fonce dans le dossier, se retrouve un temps face à Beaune et l’emporte… avec trois autres prétendantes : Tours, Rungis et Lyon. Après bien des vicissitudes, dont quelques oppositions politiques, force est de reconnaître que la mayonnaise Unesco a doublement pris au pays de la moutarde : via le repas des Français, comme on vient de l’expliquer, via aussi les climats du vignoble de Bourgogne, dont Dijon est l’une des deux balises fortes grâce à ses origines ducales et son secteur historique sauvegardé.
À gauche, William Krief, président du groupe K-Rei en charge de la commercialisation des espaces de la Cité de la gastronomie. À droite, François Deseille, l’élu dijonnais référent du dossier de la Cité. © Iannis Giakoumopoulos
Le nez dans le plat
William Krief se retrouve alors le nez dans l’assiette : « Nous avons réalisé l’acquisition pour les commerces, le pôle formation, les bureaux et les espaces communs, mais dans cet environnement empreint de gastronomie qu’est la Bourgogne, il nous a fallu comprendre l’écosytème à mettre en place, les enjeux du projet. » C’est comme renifler un plat : quand ça sent bon, difficile de ne pas y glisser une cuillère. William Krief y a plongé le bras et toute son âme, en créant une filiale de K-Rei, Village gastronomique, qui se réserve une solide partie du menu : « Notre rôle sera de coordonner le pôle culturel (ndlr, l’espace où se tiendront les expositions temporaires et permanentes, dans l’ancienne chapelle de l’hôpital et un bâtiment neuf dédié), avec l’espace commercial dont nous avons la responsabilité. »
Le risque était de tomber dans le piège d’un projet commercial écrasant le reste. Or, après bien des épisodes, la Cité internationale de la gastronomie et du vin elle-même (à savoir le site des expositions, la partie culturelle) a été aspirée par la Ville. Dijon en reprend la gouvernance, sous forme de régie, comme l’explique François Deseille, l’élu référent du dossier : « Le recours juridique déposé en juin 2016 (ndlr, par Emmanuel Bichot, opposant à François Rebsamen) a retardé notre projet, mais nous a permis de tirer les conséquences de l’échec de la Cité de la gastronomie de Lyon, qui avait un écrin magnifique mais un contenu plus problématique. Nous avons pris conscience que l’espace culturel devait être géré sous le pavillon du service public et qu’il fallait rendre les choses attractives et gourmandes, créer de véritables parcours expérientiels pour que ça fonctionne. » Un comité d’orientation stratégique de haute volée présidé par Eric Pras, le chef de Lameloise, veille aussi au grain.
L’homme et son talent
Avec sa quinzaine de cellules, le Village gastronomique reste donc dans son rôle « d’animateur de l’espace commercial qui coiffe l’ensemble des opérateurs du pôle avec, à terme, une équipe d’une quarantaine de personnes ». La Librairie gourmande, l’école Ferrandi ont leur autonomie. Les trois restaurants de la cité, dont une cave proposant pas moins de 3 000 vins du monde entier, ont été confiés à la société Épicure de Julien Bernard. Mais tout cela mérite coordination. Le visiteur doit pouvoir profiter, dès l’entrée, d’un ensemble de prestations qui dépasse de loin la seule visite des expositions et le propulse vers les plaisirs de la dégustation. Tel est la vocation du Village gastronomique.
Souhaitant être présent aussi dans l’opérationnel, William Krief s’est gardé un espace de cuisine sur trois niveaux et près de 600 m2, qui sera à la Cité ce que Top Chef est à la téléréalité. Le promoteur est intarissable sur ce point : « C’est un espace partagé dédié à l’événementiel et à la dégustation. Les cuisiniers locaux pourront s’exprimer pleinement dans cet espace modulable divisé en plusieurs zones » : un rez-de-chaussée équipé comme un studio pour des battles d’enfer, un rooftop qui surplombe l’ensemble de la canopée, un atelier dédié à la mixologie (soupes et cocktails), un autre pour les viandes… « Le travail avec les architectes est exceptionnel, tout est fait pour organiser de grands dîners de chefs, des opérations entre professionnels, des performances pour le grand public, en mettant l’homme et son talent au cœur du dispositif. »
La notion de circuit court sera le fil conducteur du pôle du Village gastronomique. « On a hâte d’apporter à tout ça notre côté festif », s’enthousiasme William Krief qui, à terme, vise la naissance d’une grande communauté en ligne, sorte de jumeau virtuel de la Cité internationale de la gastronomie et du vin à Dijon. La table des bonnes intentions est dressée. Y’a plus qu’à. —