Un bar-brasserie avec son frangin Kaveh qui a métamorphosé la place du Théâtre, des placements immobiliers bien sentis… il aurait pu en rester là. Mais Thibault Jahanshahi a voulu renouer avec ses premières amours et a repris ses études de médecine, à 33 ans. Fils de réfugié politique iranien, l’autre moitié du « Trini » raconte un bout de l’histoire familiale l’ayant mené à cette croisée des chemins.
Par Alexis Cappellaro – Photo : Jonas Jacquel
Il a finalement trouvé un peu de temps, entre midi et deux cafés avalés, pour se raconter. Thibault Jahanshahi court partout en ce moment. À 33 ans, le Dijonnais a repris ses études de médecine, huit ans après les avoir mises en sommeil. Il en avait pourtant validé cinq, « mais à cause des affaires, je n’ai pas pu aller au bout ». En ce moment, il « essaie d’aller au maximum à la fac », bachote pour se remettre dans le (grand) bain. « Heureusement, j’ai une grande mémoire. Mais il me reste un peu de chemin pour être médecin », explique-t-il modestement. Son choix paraît étonnant. Il est pourtant une simple question d’épanouissement personnel. Thibault veut reprendre l’histoire là où elle s’est arrêtée. « Faire quelque chose pour moi », résume-t-il, la main effeuillant un dossier sur… le retentissement viscéral de l’hypoxie. Le fameux !
Une histoire de moutarde
« Kaveh me soutient, heureusement qu’il est là, apprécie l’aîné. Il tient la baraque, la clé de la réussite du Trinidad c’est aussi lui. » À deux, les Jahanshahi partagent la gestion de l’établissement place du Théâtre, et une histoire familiale singulière. Leur papa a fuit l’Iran en pleine révolution (1) pour atterrir à Dijon en 1979, avec le statut de réfugié politique. « Il appartenait à une grande famille de l’ancien régime, et on ne les aimait pas beaucoup à cette époque », pose-t-il pudiquement en préambule. « Il a quitté le pays précipitemment et a continué à se battre contre le régime iranien depuis la France ; il a même occupé l’ambassade d’Iran. »
Pourquoi Dijon, d’ailleurs ? Le fils ne se souvient plus très bien mais croit savoir « que la moutarde a joué un rôle dans l’histoire ».
Il sait en revanche que la fibre commerçante lui vient de sa maman. De ce côté de la famille aux origines polonaises, « mes arrières grands-parents tenaient des boucheries, mes grands-parents un garage et un pressing, ma mère une école de yoga… », détaille Thibault, exhumant au passage des photos de l’arrière-grand-père paternel, « un cosaque (2) du nord-ouest de l’Iran actuel, un vrai de vrai avec le cheval et le chapeau ! ».
Fuite en avant
Nous trois ou rien, comédie-dramatique sortie en 2015, lui a « beaucoup fait penser à (s)on père. Cette histoire, au final, c’est ce qui a construit tout ce que j’ai fait. Sans verser dans la psychanalyse, j’avais sans doute besoin de cette fuite en avant ».
La fuite en avant a de la gueule. En cinq ans, Le Trinidad est devenu le « bébé » des Jahanshahi. Avec sa grande terrasse et ses concerts, il a offert un nouveau destin à la place du Théâtre, « que tout le monde pensait morte et enterrée ». Thibault a le droit d’en être fier, lui qui « aime véritablement Dijon. Franchement, je n’ai pas d’étiquette politique, mais je dois dire que la ville est impeccablement tenue ».
Fonceur dans le foncier
Et pour cause, le territoire dijonnais est aussi son terrain de jeu privilégié. Plus confidentielle – « et pourtant beaucoup plus prenante » – son activité dans l’immobilier est aussi source de satisfactions. « Mais je ne suis pas dépensier ni flambeur », jure notre homme devenu expert en la matière à force d’avoir « saisi au vol des opportunités, modestement » et investi très tôt sur le foncier dijonnais. Pour illustrer ce goût des affaires, il lance l’anecdote et se marre : « Quand j’étais en primaire, ma mère s’est faite convoquer car j’avais monté un commerce de bonbons. Je les achetais en gros puis les revendais aux copains ; je tenais même un livre de comptes ! » Au bout du compte et des comptes, le trentenaire est fier de voir le chemin parcouru. Celui qu’il lui reste à faire est d’une autre nature. Pour Thibault, médecin malgré tout, il était temps de « se recentrer ». Et de faire sienne une citation d’Omar Khayyam, savant persan du XIe siècle : « La vie passe, rapide caravane ! Arrête ta monture et cherche à être heureux. »
(1) La Révolution de 1979 a transformé l’Iran en république islamique, renversant l’État impérial de la dynastie Pahlavi.
(2) Peuple nomade en majorité slave d’Europe orientale, adjacente au Caucase et à l’Asie et autrefois au domaine ottoman. Les cosaques fournissaient notamment une cavalerie à l’armée tsariste.