Par Dominique Bruillot – Photos : Michel Joly
Pour sa centième édition, le Tastevinage a changé chaussettes et étiquettes. Mais le concours de vins de la plus grande confrérie bachique au monde a aussi frappé un grand coup en présentant son verre « buvant oblique ». Chacun des 228 dégustateurs présents a vivement apprécié ces petites révolutions de palais.
Château du Clos de Vougeot, un certain 29 septembre 2017. Bien des nouveautés marquent la centième édition du Tastevinage. 228 dégustateurs – autant qu’il y a de litres dans une pièce bourguignonne comme le fera remarquer le Grand Maître Vincent Barbier -, s’apprêtent à mettre à l’épreuve de leur jugement plus de 400 flacons candidats. L’événement est d’importance dans le monde du vin. Ce concours porte les armoiries de la plus importante et la plus prestigieuse confrérie bachique au monde et ses 12 000 chevaliers.
Vaisseau dans une mer de vignes
L’événement a pour cadre un cellier cistercien au rayonnement planétaire. Les chiffres qui lui sont associés parlent d’eux-mêmes. En une soixantaine d’années d’existence, plus de 100 millions de bouteilles ont été tastevinées, de l’appellation régionale à l’appellation grand cru. Le tout sous la bénédiction des moines fondateurs du vignoble bourguignon, dont l’esprit n’est jamais très loin des murs qu’ils érigèrent autrefois.
Pour présider la séance, la magnifique Jeannie Cho Lee, première femme Master of Wine (1) asiatique, femme de presse et d’édition, de télé et du net, de cuisine et de vin. La voilà qui lâche le message que personne n’osait espérer entendre : « Il suffit de regarder comment la cuisine asiatique et le vin de Bourgogne se marient bien pour en avoir la certitude, il y a une “ love affair” dans l’air ! »
Une nouvelle fois, le Tastevinage est à la démesure du site. Rigoureux en même temps que festif. Austère et décalé. Aristocratique et familier. Spirituel et rabelaisien. Cet univers-là ne se prend pas d’assaut brutalement, il s’apprécie avec du palais et de l’écoute. Il se découvre année après année, séance après séance. Tasteviner est un art qui requiert patience et humilité. Bienvenue au pays de la légendaire et spirituelle lenteur « escargotique ».
« I was there ! »
Étape mythique de la Route des Grands Crus, le château du Clos de Vougeot est en effet le temple vénéré des vins de Bourgogne. Ce grand vaisseau de pierre semble naviguer nonchalamment au milieu d’une mer de vignes. Régulièrement, bruyamment, il célèbre Rabelais et les papilles. Parés d’un cordon pourpre et or auquel ils ont accroché un drôle de récipient en métal, ses matelots chantent à tue-tête les vertus d’une marée montante de pinot et de chardonnay. Et hop, ouvrez le ban ! Et hop, fermez le ban ! Pourvu qu’il soit bourguignon.
Entre les murs de ce château, on se réfère alors à Bacchus. On vient des cinq continents pour pouvoir dire aux siens, à ses proches, « J’y étais ! », « I was there ! » en anglais, car la population qui fréquente les lieux n’a ni frontières ni couleurs, elle est « tastevinesque ».
La bonne inclinaison
Pour célébrer cette centième, le Tastevinage a donc changé d’habits. « La charte graphique se pare désormais d’or et s’affiche sur un fond transparent pour le macaron, et sur un papier de couleur crème pour l’étiquette. » Les symboles demeurent, mais l’épure est au rendez-vous, question d’époque. La mention « tastevinage » bénéficie d’une protection anti-contrefaçon, question d’époque toujours.
Plus spectaculaire, la confrérie s’est dotée d’un outil révolutionnaire, un verre « buvant oblique ». L’objet est un prodige d’ingéniosité. L’évolution la plus visible, c’est cette inclinaison en surface qui épouse « l’inclinaison des pentes de la Côte viticole bourguignonne ». Dit comme cela, cela paraît amusant, mais cela est surtout diablement efficace. Dans une première approche, porté en bouche, le verre enveloppe le nez et facilite ainsi la rétro-olfaction. La finesse du « soufflé bouche » et la paraison arrondie propre à la dégustation des bourgognes font la suite. Simple mais concluant.
Puis il suffit de tourner le verre sur un demi-tour et là, sa partie la plus longue se pose sur votre lèvre pour laisser couler en douceur le délicieux breuvage qui achève la conquête de vos sens. Waouh ! Ce « buvant oblique » vous met la tête à l’envers. Et ce nuits-saint-georges premier cru, dignement honoré par son récipient, mériterait de devenir un major, à savoir l’un des coups de cœur du jury qui seront présentés avec les hommages en novembre. Grâce à lui, grâce à d’autres pépites du vignoble régional, la centième du Tastevin est dignement célébrée, verre buvant oblique à la main.
(1) Remis par l’Institut of Masters of Wine, basé à Londres, le Master of Wine est considéré comme la plus prestigieuse des distinctions dans le monde du vin. Très sélective (une dizaine de diplômés par an en moyenne), elle compte environ 400 détenteurs.