L’un vient de Fez au Maroc, l’autre de Kaboul, la capitale afghane. Tous les deux incarnent la réussite et l’intégration. Marc Elasery et Azim Naim ont choisi Dijon comme terre d’accueil, où ils mènent désormais une vie accomplie. Portraits et destins croisés.
Par Emmanuel Razavi – Photos : Christophe Remondière, Jonas Jacquel
MARC ELASERY
La soixantaine élégante, les yeux étincelants et le sourire en coin, Marc Elasery est un homme heureux. On le comprend un peu : à l’âge où d’autres abordent la retraite, cet hyperactif qui a réussi dans les affaires (ndlr : il a cédé fin septembre la brasserie La Lib), continue de mener de front des tas de projets, partageant sa vie entre le Maroc et la France. De son propre aveu, l’histoire aurait pu mieux démarrer : « J’ai débarqué à Dijon en 1973 sans un sou en poche, avec une paire de baskets trouées et beaucoup de volonté (…) J’ai commencé comme plongeur dans une brasserie. Cela a été une chance, peut-être celle de ma vie. Ensuite, en 1981, j’ai appris le métier de cordonnier et j’ai monté une boutique à Talant, après un stage de gestion à la chambre de commerce. À l’époque, il fallait avoir confiance en soi : les taux d’intérêts pour acheter le local étaient de 18% ! »
« Il faut bosser ! »
En une dizaine d’années, avec acharnement, Marc fait fructifier son capital. « Sans jamais prendre de vacances ou presque », il crée des restaurants comme La Réserve ou le Marrakech, puis investit dans l’hôtellerie. « Vu de loin, a on a l’impression que c’était facile. Mais il n’y a pas de mystère, pour réussir, il faut bosser ! Il faut aussi être humble et savoir fréquenter des gens qui sont plus instruits que soi, cela fait progresser », note Marc, pour qui les réseaux patronaux, notamment ceux de la CPME, ont été « essentiels ».
Lucide, l’entrepreneur sait qu’aujourd’hui, on ne réussit plus aussi vite qu’autrefois. Notamment lorsque l’on est issu de l’immigration. « J’incarne un modèle de réussite à la française. Je dois tout à ce pays et je me sens à 100 % français. Mais il faut être conscient qu’il est presqu’impossible pour un jeune immigré d’avoir mon parcours. D’une part la crise et le chômage sont passés par là. D’autre part, s’il y a beaucoup d’intérêts communs entre la France et le monde arabe, il est évident qu’il y a des problèmes de racisme et de méfiance, ce que personnellement je n’ai jamais ressenti », précise-t-il.
Père de trois enfants auxquels il a transmis ses valeurs, Marc finit par un sourire : « Je paie mes impôts en France, et je suis contre le fait que des entrepreneurs choisissent l’exil fiscal. Mon pays, c’est la France, et ma ville, c’est Dijon ! »
AZIM NAIM
Docteur en Histoire et titulaire d’un master de finance, Azim Naim est né en Afghanistan. Son père, général et gouverneur des provinces du Sud puis du Nord du pays, est assassiné par les communistes au début des années 80. À l’époque, le pays est occupé par l’armée soviétique, et les opposants au régime ne sont pas accueillis avec des roses. « Mon père a été arrêté et violenté sous mes yeux, pose-t-il d’un ton grave. Ce jour-là, j’ai compris que mon adolescence venait de m’être volée. À 17 ans, risquant à mon tour d’être tué, j’ai décidé de quitter Kaboul. J’ai d’abord rejoint le Pakistan, où je me suis engagé dans la résistance. Je coordonnais notamment des actions humanitaires pour aider l’Afghanistan. »
Prix Goncourt comme voisin d’exil
En 1987, menacé par les islamistes, il émigre en France où il obtient le statut de réfugié politique. « J’avais fait ma scolarité au lycée franco-afghan. J’étais donc imprégné de culture française, et je connaissais la langue (…) La France m’a donné une deuxième naissance. » Dans l’avion qui le mène vers la patrie des droits de l’Homme, il est assis à côté d’Atiq Raimi, autre intellectuel afghan qui recevra onze ans plus tard le prestigieux Prix Goncourt pour son ouvrage Syngué Sabour. « Nos destins sont la preuve que l‘intégration et la réussite sont une réalité de ce pays. »
Débarqué à Dijon, il entreprend de longues études universitaires qu’il réussit avec succès, aide à la rédaction de livres et conseille de nombreux journalistes qui écrivent des sujets sur l’Afghanistan. Devenu une référence incontournable, il participe au processus de Bonn pour la reconstruction politique du pays des cavaliers. Nous sommes alors en 2001. « Je me suis beaucoup impliqué ; je voulais voir mon pays se soustraire à l’influence des talibans (…) En fait, je pense que je suis un pont, une sorte de passeur entre Orient et Occident. Ce qui nous relie, que l’on soit oriental ou occidental, c’est notre humanité. Car dans le fond, nos deux cultures sont assez proches. La France, comme l’Afghanistan, sont par exemple deux pays historiquement imprégnés par la philosophie grecque. Cela fait que je me retrouve facilement dans les valeurs françaises comme la laïcité, l’humanisme et le respect de l’autre. »
Aux « RH »
Aujourd’hui, Azim s’occupe des relations humaines au sein du groupe Dijon Céréales. Parallèlement, il intervient à l’Université de Bourgogne où il enseigne l’action humanitaire à des étudiants venus du monde entier. Comme Marc l’entrepreneur, Azim l’intellectuel est devenu un modèle pour des jeunes venus d’Orient en quête d’intégration. À l’heure où la France est minée par le démon du communautarisme et de l’extrémisme, ils sont la preuve vivante que le modèle d’intégration, chez nous, peut être une réussite.