Ou comment les Guerra, maçons de père en fils ont entrepris le projet fou de redonner vie à un vieux château malmené par l’histoire.
Par Dominique Bruillot
Photo : Christophe Remondière
La transmission conditionne généralement la pérennité d’une entreprise dédiée au patrimoine ancien. Chez les Guerra, la passion dure depuis plus de 60 ans et Paul, fils de Jean-Philippe a repris l’affaire après avoir effectué, comme il se doit, son Tour de France. Etre compagnon du devoir c’est plus qu’un symbole ou une garantie de compétences, c’est l’assurance que rien ne sera laissé au hasard, surtout pas la dimension culturelle d’un chantier.
En 2005, Jean-Philippe et Eliane Guerra ont le coup de foudre pour un petit château au lourd vécu, aux confins de la Côte-d’Or et de la Haute-Marne, dans le périmètre du futur Parc national du Châtillonnais, qu’ils rebaptiseront les Hirondelles de Gurgy. Ce monument cossu et tout en rondeurs, porte en lui les stigmates d’une histoire mouvementée. Son nom fait référence aux seigneurs de Gurgy, au tout début du XIIIe siècle. Mais les écrits rapportent qu’il brûla en 1475, faisant les frais des chamailleries entre Louis XI et Charles le Téméraire. Ressuscité, il deviendra bien plus tard la propriété d’un bâtard de Louis XIV et de la Montespan, avant d’échapper miraculeusement à la vente des biens sous la Révolution. Passionnant parcours. Le maître artisan maçon, éloquent et habité par son métier, a donc entrepris un impressionnant travail de restauration, récompensé en 2013 par le prix du patrimoine bâti parcs et jardins. Fortement remanié, le Château de Gurgy-la-Ville a conservé ses éléments d’architecture des XVe et XVIe siècles. Mais dans un état qui aurait fait fuir n’importe qui… sauf un couple de professionnels aguerris. « Il était dans son jus, c’est ce qui nous a conquis, reprennent en chœur Eliane et Jean-Philippe, même si la charpente était sur le point de glisser ».
Les photos publiées sur le site des Hirondelles de Gurgy parlent d’elles-mêmes. Aujourd’hui, ce lieu hors du temps finance une partie de cette restauration sans fin par son activité de gîte. Affronter les affres du temps, lorsqu’on parle de patrimoine, c’est en effet se frotter à une foule de défis énormes comme restituer une galerie de liaison entre le logis et la tour sud-ouest, restaurer dans les règles de l’art les menuiseries et redonner vie au nymphée qui se désespérait de ne plus recevoir d’offrandes. Jean-Philippe y a ajouté une touche personnelle et originale en s’autorisant à glisser les moulures de visages des quatre enfants du couple dans plusieurs pièces. Mais qui pourrait lui en vouloir car, comme il le dit lui-même, c’est « à notre tour de construire l’histoire de ce château ». De toute façon, les Guerra ne se font guère d’illusion et se le rappellent avec humour : « On se dit qu’on a au moins 150 ans de travaux devant nous ». De quoi former encore quelques générations de compagnons.