— Marcel ressemble à un paisible chartreux gris. Il n’est pas vraiment un spécimen de race pure, mais ses maîtres, Isabelle et Gilles Sonnet, pensent… qu’il pense. Les propriétaires de « greffiers » diront que cela est possible. Le couple de Dijonnais a donc baptisé son délicieux « restaurant à la maison », ouvert dans un hôtel particulier de la rue Monge, Le Chat qui pense. Isabelle joue de son piano pendant que Gilles, fleuriste de son métier, assure le service du midi. La bistronomie de foyer existe, nous l’avons dégustée.

Restaurant à la maison est une expression bien choisie. Le Chat qui pense impose en effet de sonner à la porte d’une habitation bourgeoise. Cet hôtel particulier sur trois niveaux est discrètement engoncé dans la prometteuse rue Monge, appelée à devenir la future artère d’introduction au centre-ville, quand le chantier de la Cité de la gastronomie sera achevé. Mais avant d’en dire plus, intéressons-nous d’un peu plus près à la petite famille de Marcel, le félin ayant inspiré le nom de l’établissement. Un sacré penseur celui-là ! 

Isabelle et Gilles sont deux Ardéchois. Musicienne dans l’âme, elle a appris le piano pendant une dizaine d’années. Puis approfondi ses connaissances de l’histoire, son autre passion, à la fac de Lyon. Lui est fleuriste. Tout le monde le sait dans la capitale bourguignonne. Mais avant de venir à Dijon, leur destin commun a été scellé il y a 28 ans maintenant, dans la capitale des Gaules. Ils y tenaient deux magasins de fleurs, un chacun, « même si cela n’était pas vraiment mon truc, l’eau étant trop froide à la longue », plaisante à moitié Isabelle.

Isabelle, Gilles, Loulou… et Marcel

C’est à cette dernière, à son appétence pour les lieux chargés d’histoire, que l’on doit l’installation du couple sur la terre des ducs. « J’en rêvais, je voulais être au cœur de cette belle ville dans laquelle transpire la légende bourguignonne ! » Elle y sera psychologue libérale durant une quinzaine d’années. Un métier prenant, qui se pratique au gré des souffrances de la vie des autres, voué en grande partie à la protection de l’enfance. Un métier qui peut user. Mais chez les Sonnet, la remise en question est une règle de vie. Quand Gilles fait de son affaire l’une des plus en vue de la place régionale, Isabelle s’imagine « pianiste-restauratrice ». D’un piano à l’autre, son cœur balance. Un accident précipite les choses : « Mon mari se casse les deux talons, il y a de cela cinq ans, il doit rester tout un trimestre dans un fauteuil. Gilles a pris cela avec philosophie, mais j’ai dû abandonner ce que je faisais pour le véhiculer, le soutenir et faire en sorte qu’il ne pète pas un câble. » Cet épisode et la bonne santé des affaires du fleuriste vont ensuite permettre à Isabelle de suivre des cours par correspondance et de décrocher un CAP de cuisinier au CFA La Noue (aujourd’hui École des Métiers Dijon Métropole). « Je voulais faire les choses dans l’ordre, avoir un véritable statut de restauratrice tout en préservant l’originalité de notre projet, accueillir nos clients à la maison. »

Ce qui est fait, en avril 2019, dans l’environnement improbable d’un lotissement, à Norges-la-Ville. Les Sonnet y ont construit leur jolie maison. Une fois le muret de l’habitation franchi, l’opération séduction est en marche : ambiance chaleureuse d’un grand salon pouvant accueillir une vingtaine de convives, joli piano planté là comme un élément central du décor, belle cuisine transparente dans laquelle Isabelle évolue avec l’aisance de l’héroïne (Stéphane Audran) du Festin de Babeth (un chef-d’œuvre du cinéma gourmand). Surtout, des assiettes soignées et sans cesse renouvelées, servies avec gentillesse par Gilles. Le fleuriste se libère le temps de midi. Il prend soin des clients et suggère un choix judicieux de vins accessibles et originaux, ce qui est loin d’être fréquent dans la restauration classique en Bourgogne.

Une cuisine voyageuse

Rue Monge, Le Chat qui pense a conservé l’originalité de la proposition. « Gilles cherchait un camion sur Leboncoin, il est tombé sur une opportunité immobilière : en 20 secondes, j’ai su que c’était là », raconte Isabelle. L’hôtel particulier bénéficie en effet d’un patio lumineux. Il doit beaucoup de son charme à des remaniements divers et un vécu qui sent bon la vieille pierre. Les Sonnet vivent dans les deux étages supérieurs. Ils profitent de leur magnifique rez-de-chaussée-restaurant entre deux services.

De temps en temps, on peut y voir la petite Louise, 11 ans. « Loulou » aime partager avec ses parents leur goût de l’accueil. Elle est à bonne école. Maman s’est efforcée de ne jamais garnir son assiette par autre chose que du fait maison. Le piano (celui conçu pour la musique) est bien en vue à l’entrée. Son usage demeure quelque chose de personnel. Isabelle ne joue finalement que d’un seul instrument à la fois. Mais ne désespère d’accueillir, à l’occasion, un petit récital qu’elle imagine par exemple avec l’association l’opéra voyageur. Le Chat qui pense a ouvert à l’automne 2020. Trois semaines avant la nouvelle punition du deuxième confinement. Le temps, pour les habitués de Norges et les autres, d’apprécier l’intimité douce et gourmande du lieu. Dans son espace de travail à l’esthétique soignée, propre comme un sou neuf, la maman cuisinière fait selon son inspiration : « Je vais au marché des halles avec mon chariot, cela me permet de faire une cuisine voyageuse et d’inspirations diverses, de décliner régulièrement un produit dans plusieurs textures, avec des producteurs de légumes qui me suivent. » De la bistronomie de foyer en quelque sorte, où jamais rien n’est perdu. « Alors, ça vous a plu ? » Quelque chose nous dit que nous sommes le mercredi, jour des enfants. La question a été posée par la souriante Loulou. À voir nos mines réjouies, on devine facilement ce qu’en pense le greffier Marcel.    —


Le Chat qui pense, 18 rue Monge à Dijon. Ouvert du lundi au vendredi, menu à 28 euros, joli choix de vins au verre. 06.80.84.79.62 / [email protected] ou via Facebook.