— Le lait, étendard régional et promesse de circuit court. L’idée remonte à quelques années. Elle a été boostée par la crise sanitaire. Avec son lait Bourgogne-Franche-Comté, qui fait des éleveurs les « stars » publicitaires de ses briques, la fromagerie Delin ouvre une voie lactée et royale pour l’économie du territoire. Philippe Delin en confie les secrets à Dijon Capitale. À l’heure de la traite !
Les produits laitiers sont nos amis pour la vie ! Une réalité française résumée en quelques chiffres : 39 milliards d’euros de chiffre d’affaires, près de 300 000 emplois, 54 000 fermes laitières, 3,6 millions de vaches à traire et une deuxième place sur le podium européen pour la France. Cocorico !
Dans les territoires, cela mérite d’être regardé à la loupe. Le lait identifié monte en puissance. Dans les Ardennes, via la démarche nationale de « C’est qui le patron ? », ou encore en Bretagne, où la production ne suit pas la demande, on met du local dans le bol du p’tit déj, dans les gâteaux et dans la vie de tous les jours. Les laits régionaux représentent aujourd’hui 15 % de la consommation française.
Dès potron-minet
Chez nous, la fromagerie Delin est la reine incontestée du brillat-savarin. Basée dans une terre de vins, à Gilly-lès-Citeaux, son lait Bourgogne-Franche-Comté porte les couleurs de la région. Il affiche fièrement sur ses briques les photos de ses éleveurs. Philippe Delin en est le patron, aussi connu sur les bancs de la JDA, dont il est le plus fervent des soutiens, que dans le monde agricole. Pour le joindre, quoi de plus naturel, il faut s’y prendre à l’heure de la traite, dès potron-minet, durant la marche quotidienne qu’il fait avec son chien Jibus (un magnifique Montagne des Pyrénées) autour de la fromagerie familiale. Après, il sera beaucoup moins disponible. Alors Philippe, pourquoi tant d’énergie autour de la production de lait « made in BFC » ? « Au départ, nous avions une fourniture irrégulière de matière grasse pour faire nos brillat-savarins. Avec le lait demi-écrémé, nous couvrons désormais 10 % de nos besoins. » La matière grasse de nos fromages dépend en effet d’un marché mondial. Adepte d’une politique d’achat de laits régionaux et sans OGM – quitte à en passer par des acquisitions comme celle de la coopérative laitière de Sainte-Marie-la-Blanche -, Delin avait donc la possibilité de canaliser en circuit court une partie de ses besoins. C’est alors que le marketing fait son office…
Têtes de brique
Philippe Osweiller est un pro de la « com ». Ancien patron de l’agence Grand Pavois et membre du réseau de créatifs L’esprit Archibald, il installe le dispositif. Ce passionné de la cause territoriale n’a pas de mal à construire une relation avec des producteurs qui épousent le cahier des charges de la fromagerie… tout en se prêtant de bonne grâce à une séance photo pour figurer sur les briques distribuées sur le marché.
L’effet est multiple. Le travail du producteur est valorisé dans les esprits comme dans les comptes. Sa rémunération a progressé de plus de 10 %, pour dépasser la barre des 40 centimes d’euros le litre. Rassuré, le consommateur sait que ce lait ne vient pas de l’autre bout du pays, qu’il n’a pas brûlé plus de gasoil dans les transports que son propre volume.
Avoir sa tête sur des milliers de tables, dans des milliers de foyers, peut-être grisant aussi. Les producteurs du lait Bourgogne-Franche-Comté (au nombre de 18, fin 2020), se rendent volontiers à la foire pour tenir leur rôle d’ambassadeurs. Ils ont des fermes de taille variable mais toujours raisonnables (de 20 à 150 vaches) et fournissent en moyenne de 300 000 à 1 million de litres à l’année. Une campagne de publicité dans les quotidiens régionaux, les radios locales, sur France 3 et dans nos magazines appuie leur sympathique pipolisation et cristallise l’attention sur les vertus de la proximité.
D’autres laits à venir
Ne pas croire pour autant que l’affaire est très rentable. Le lait, c’est du volume pour peu de marge. Le dirigeant de la fromagerie Delin est dans une stratégie de long terme : « Pendant le confinement, j’ai alerté les autorités sur le fait qu’il n’y avait plus de ligne de production de lait dans notre région. Alors je me suis projeté dans la réalisation de notre propre ligne. »
Aujourd’hui, le lait Bourgogne-Franche-Comté est récolté au quotidien par deux camions. Son conditionnement se fait dans la Loire. Dans une autre fromagerie familiale, certes, mais on n’est loin du carbone zéro recherché et cette prestation a un prix. Ce qui donne des arguments à notre fromager côte-d’orien : « Avec une nouvelle ligne, on vise 30 à 40 % de nos besoins, qui seront conditionnés et stérilisés sur place. Cela se fera avec un doublement du nombre de nos éleveurs fournisseurs en lait. »
L’investissement est de l’ordre de 4,5 millions d’euros, auxquels il convient d’ajouter un budget marketing de 150 000 euros. « Tout ça pour ne produire qu’un petit million de litres », s’amuse Philippe Delin, qui voit dans cette démarche un moyen de positionner sa « petite » industrie fromagère (où travaillent 90 personnes) sur une éthique vertueuse, en opposition aux travers mondialistes des mastodontes de la filière. L’homme ne s’arrête pas à cela dans sa réflexion. Il s’interroge sur le potentiel et l’opportunité d’un lait purement franc-comtois, voire saône-et-loirien ou haut-marnais. Il planche sur des nouvelles briques recyclables, sans plastique, réalisables dans l’année qui vient. Il imagine la création d’un lait régional à moindre coût pour les collectivités, alimenté par les surplus de production. À croire que nos « amis pour la vie » sont aussi nos amis les plus proches, au sens géographique du terme. —
Nicolas, l’Homme-brique
Sur notre photo principale, Philippe Delin, le dirigeant de la fromagerie Delin créée par ses parents Jacques et Jacqueline en 1969, est en compagnie de Nicolas Michaud, à la Ferme de Tontenant (Pagny-le-Château). L’éleveur emploie deux salariés, gère 240 hectares de surface agricole et une centaine de vaches laitières de race Prim’holstein, entièrement dévouées au lait de Bourgogne-Franche-Comté. Ancien président des jeunes agriculteurs de Bourgogne (2005-2009), Nicolas Michaud élève par ailleurs des chevaux. Il s’est volontiers prêté au jeu du marketing de proximité, en posant en bonne place sur les emballages. Après l’homme-sandwich, au nom du circuit court et de la valorisation des productions locales, peut-être allons-nous entrer dans l’ère… de l’homme-brique !