L’objet bourguignon a-t-il encore une place particulière dans un hôtel des ventes ? Dans le contexte d’un marché et un métier de commissaire-priseur en grande mutation, les frères Sadde témoignent que oui. Et pas seulement au niveau des vieux pots de moutarde. Des tableaux et des broches font aussi monter les enchères.
Par Dominique Bruillot – Photos : Jonas Jacquel (sauf mention contraire)
On ne va pas se voiler la face, ni se cacher derrière un marteau : le métier de commissaire-priseur a bien changé. La toile est passée par là, obligeant la profession, qu’elle soit provinciale ou pas, à brasser les genres. Chez les frères Sadde, comme ailleurs, le modèle économique de l’Hôtel des ventes se partage entre le particulier qui revend ses biens, le chineur qui déniche quelques trésors oubliés et les successions. Avec un peu de judiciaire à la marge.
La succession, autrefois, c’était le gros du job. Guilhem et Christophe Sadde, justement, succèdent à leur père. Ils ont vécu cette mutation en profondeur sans pour autant se défaire de leur enthousiasme pour un métier qui demeure passionnant.
En 2016, au 13 de la rue Paul-Cabet, on a ainsi traité le destin de 11 558 objets dans le domaine de la vente volontaire, c’est-à-dire hors liquidations, saisies et tutelles. Ce qui laisse la part belle à de précieuses découvertes, y compris dans le marché bourguignon, qui a ses classiques…
Claudot, Dieu en Chine
Tenez, par exemple, le pot de moutarde. « Un marché historique, un peu en voie d’extinction, qui séduit paradoxalement des gens de l’extérieur. » Un marché qui épouse la pente descendante d’une population naturellement intéressée mais vieillissante. Pourtant, une pépite peut s’avérer piquante. « Certains pots datant du XVIIIe siècle se sont vendus jusqu’à 1 000 euros pièce », atteste l’un des deux frères.
La Bourgogne a aussi ses peintres emblématiques. Vincenot, dans sa période parisienne notamment, intéresse toujours nos commissaires-priseurs. L’avis est lancé. Ici, chaque année, il se vend cinq ou six tableaux du Pape des escargots. Plus connu par ses écrits, le chantre de la Bourgogne a donc une cote de peintre, 2 000 euros environ la toile de taille moyenne.
Mais dans le registre des figures de style et de proue de l’art régional, le très prolifique André Claudot est quant à lui particulièrement prisé : 35 ans après sa disparition, l’homme passionne encore. Au-delà de l’indéniable talent du Dijonnais, la vie de cet humaniste libertaire et anticlérical n’est pas étrangère à une telle fascination.
Soldat pendant la « Grande guerre », il envoie ses illustrations interdites aux journaux anarchistes. Résident de la Ruche à Paris-Montparnasse, il enseigne ensuite plusieurs années à l’institut des Beaux-Arts de Pékin, avant de revenir à Montmartre puis à Dijon. Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il finit par retrouver sa Bourgogne pour explorer d’autres facettes de son œuvre. D’aucuns se souviennent encore de son atelier de la rue Musette, qui n’était autre que l’ancien atelier d’un autre grand artiste bourguignon… le sculpteur Pompon, autre sujet (et objet) de convoitise.
Donc, pas la peine de vous faire un dessin. Si Claudot vous parle, filez chez Sadde, il peut y en avoir. Les Chinois en raffolent, ils en font même des vidéos. Il n’est pas rare de voir un ressortissant de l’immense République populaire faire un saut jusqu’en Bourgogne pour chiner, le verbe est choisi, une réalisation du peintre. Les transactions peuvent alors se monter à 5 chiffres.
Fabuleuse succession Dejouy
Dans son genre, le marché des objets précieux de la Bourgogne n’est pas mal non plus. Un bijou ou un meuble art déco du créateur avalonnais Jean Després produit régulièrement son effet. Disparu en 1980, l’homme s’est inspiré de l’aéronautique pour créer des « bijoux moteurs ». Orfèvre de formation et artisan du métal, il a cassé les codes de la joaillerie pour en renouveler les formes. Chez Sadde, on aime bien avoir une de ses œuvres entre les mains. Joséphine Baker fut en effet parmi ses clientes. Autant dire qu’il a un truc en plus, ce Després. Il y a parfois des coups d’éclats qui doivent beaucoup au hasard, sans faire grand bruit dans la presse.
Le 9 mars 2017, l’Hôtel des ventes des frères Sadde accueille et organise la vente de la succession de la bijouterie Dejouy, une véritable institution locale dont les origines remontent au XVe siècle. « Les vieilles familles dijonnaises se sont ruées vers la rue Cabet pour se partager un fonds de bijoux et de diamants exceptionnels », jubile encore Christophe Sadde.
Les Dejouy ont éteint leur activité sans successeur, léguant leur fabuleux fonds de commerce au profit de la lutte contre le cancer et de la SPA. Dans le catalogue, pas moins 120 lots parmi lesquels des montres Rolex (Jacques Séguéla serait content), mais aussi et surtout des bijoux Art nouveau d’une incroyable complexité de réalisation, que plus personne ne sait faire aujourd’hui. Un pendentif Dubret a ainsi atteint la somme rondelette de 66 000 euros !
Au bout du compte, et des comptes, cette vente aura rapporté pas loin de 450 000 euros, soit trois fois l’estimation, comme toujours dans les ventes de collections avec un pedigree historique. On aimerait bien se « tromper » comme cela tous les jours. Foi de commissaire-priseur !