Il n’en fait pas tout un fromage. Le petit village de Gilly-les-Cîteaux est pourtant la capitale mondiale du brillat-savarin. Les Delin y sont pour beaucoup. Surtout Philippe qui, en repositionnant l’affaire familiale, a fait de son nom une enseigne et de son enseigne la marque de référence de ce si généreux fromage. Saga crémeuse.
Par Dominique Bruillot
Photos : Michel Joly
15 permis de construire en 15 ans. La genèse de la maison Delin, sous l’impulsion de Maître Jacques et de la tonique Jacqueline est à elle seule une histoire qui mérite une monographie à la gloire du fromage. En 1967, après avoir repris la laiterie de Marsannay-la-Côte, le patriarche s’installe à Gilly-lesCîteaux, et adosse à sa nouvelle maison le premier atelier. « Je me souviens des tournées avec le tube Citroën », évoque nostalgique Philippe, le fils qui, maintenant, dirige le bel outil construit il y a peu au prix de gros investissements, 9 millions d’euros.
Le nouveau pape du brillat-savarin c’est lui. Il ne renie pas les origines familiales de son affaire, bien au contraire, il les vénère, tout comme sa sœur Christine, employée à ses côtés, et son frère Christian, un amoureux indéfectible de tout ce qui touche à la chose gourmande. Les Delin ont le fromage et la Bourgogne dans le sang. Dans la côte viticole, ils incarnent les valeurs d’une longue tradition de fromage enrichi. Mais, rendons à César ce qui appartient à César. C’est à la célèbre maison parisienne Androuet, repreneur du mythique Excelsior, que le gastronome Brillat-Savarin doit l’association de son patronyme au triple crème à base de lait de vache enrichi de crème. Pour leur part, la Bourgogne et les départements voisins ont depuis toujours eu des excédents de crème grace à la fabrication d’emmental.
Fromage roi
« À 3 ans, mon père me mettait sur les casiers de lait pour mouler les fromages, se souvient encore Philippe, on partait en Saviem jusqu’en Haute-Marne (ndlr : le département d’origine de la famille), pour livrer les clients ». Des années plus tard, il se retrouve à la tête de l’entreprise, bardé de diplômes des écoles des fromagers et de gestion, avec une quinzaine de personnes sous ses ordres. Et s’interroge sur la façon d’assurer la pérennité de l’activité et éviter les à-coups saisonniers.
La réponse tient en un nom : le brillat-savarin. Eté comme hiver, ce généreux prodige des mamelles de la France, de ses vaches et du terroir plaît jusqu’au Canada tristement fourni, que Philippe Delin découvre lors d’un voyage avec un groupement de confrères de l’agroalimentaire réunis sous la bannière de Vive la Bourgogne. Face à cette forte demande des marchés canadiens et de l’Amérique du nord, une étude sur la faisabilité d’implanter un site de production sur le sol canadien, et asseoir la position de Delin sur le segment de l’export est en cours.
La vraie contrainte, au-delà de cette demande, c’est donc d’assurer un cahier des charges à la hauteur des attentes de l’exigeante grande distribution. Delin et certains de ses confrères, parmi lesquels l’Icaunais Lincet, placent le brillat-savarin, le soumaintrain et le saint-florentin dans le décret fromage en 2002. La « normalisation » du produit débouche sur un développement inespéré. En 2006, le groupement des fabricants de brillatsavarin se crée. Philippe Delin en est le president depuis le debut. Aujourd’hui, une demarche IGP (Indication georgraphique protége) est engagée.
Dans les terres bourguignonnes et champenoises regroupées en une même filière, il se produit 1390 tonnes de brillat-savarin, soit un tout petit peu plus que l’époisses, contre 2450 tonnes pour le chaource, placé sur la plus haute marche du podium. « Mais on finira bien par le rattraper », s’amuse Philippe Delin, dont l’établissement représente à lui seul 40 à 45% de la production de son produit fétiche, qui elle-même génère 80% des 16 millions d’euros du chiffre d ‘affaires développé par son activité.
Cette capitalisation sur le brillat-savarin fait de Gilly-les-Cîteaux, le si petit village sur la route des moines, une capitale mondiale. Si le fromage roi de Delin se décline de 1000 façons différentes (raisin, marc, myrtille, gingembre, etc.), sa fabrication, pour s’imposer sur un marché international, implique la pasteurisation. Mais en se rendant acquéreur de la Ferme de Juchy, en Seine-etMarne, la maison Delin possède désormais un site dédié au lait cru, fournisseur d’un brillat-savarin artisanal. Comme une évidence, n’en déplaise aux moines fromagers de l’abbaye voisine, ici c’est donc « bienvenue à Brillat-les-Cîteaux » !