— Ils ont en commun un nom de famille (Sabatier), une ville (Dijon) et un symbole régional (le jambon persillé). Mais chacun a suivi son chemin, tracé par son propre père. Dijon Capitale les a réunis sous les halles, là où tout a commencé. Dégustation d’une belle saga familiale avec David l’artisan et Arnaud le grossiste.
Revenons aux sources du sujet. Idéalement, historiquement, le jambon persillé ou jambon de Pâques, c’est un morceau d’épaule et de palette cuit dans un bouillon contenant du vin blanc de Bourgogne, de la moutarde et du vinaigre de vin. Au gré des solutions et des envies, quelques pieds de veau ou de porc font la gélatine, donc l’assemblage. Un peu d’ail, d’oignon, quelques morceaux de carottes et un bouquet garni bouclent la boucle. En petits cubes, dans un bol ou sous la forme d’une grande bûche, le jambon persillé est un élément fort de l’imaginaire bourguignon. À Dijon, il est indissociable du nom de Sabatier. Car chez les Sabatier, on en produit depuis 1874, année durant laquelle l’apprenti charcutier Antoine Sabatier, natif de Fleurey-sur-Ouche, ouvre son banc sous les halles dijonnaises. Déjà.
Trois frères, trois options
Quelques générations plus tard, on retrouve ainsi trois frères dans un laboratoire de la rue d’Auxonne : Roger, Serge et Marcel. Trois frères, trois tempéraments différents. Roger notamment, veut se faire une ouverture du côté de la grande distribution. Un angle de tir qui ne séduit pas vraiment Marcel. David Sabatier est le fils de ce dernier. Il se souvient, quand il avait une dizaine d’années, de ce « labo » fraternel en proie à ses contradictions internes. Le destin va même brusquer les choses, lorsque Marcel passe tout près de la mort dans un accident de plongée à Tenerife. « C’était en 1988, après une longue hospitalisation et une lente rémission, il a pris son camion et trouvé un laboratoire pour lui, pour faire ce qu’il aime, la charcuterie artisanale, travailler les viandes, faire des tournées », poursuit David. Neuf ans plus tard, après avoir eu la liberté de faire des études de marketing, le fils rejoint le père pour un essai de six mois et une formation accélérée à Arc-sur-Tille. Marcel Sabatier, qui est encore le nom de l’entreprise, sera et reste aujourd’hui la référence persillée des marchés de la côte viticole et des halles de Dijon. Avec une spécificité : un atelier qui fait vivre une dizaine de personnes et travaille exclusivement du porc de race limousine.
Installée en 1874 à Dijon, pensionnaire des halles fraichement construites, la maison Sabatier étire une longue tradition charcutière familiale. Sur la photo, André et Michel Sabatier, petit fils du créateur Antoine, en 1955. ©D.R.
Fiers d’être Sabatier
Roger Sabatier, avec son frère Serge en production, continuera quant à lui l’aventure des Salaisons Dijonnaises au marché de gros. Dirigée depuis de nombreuses années par son fils Arnaud, cette belle fabrique emploie une cinquantaine de personnes avec « un rayonnement régional et une notoriété nationale ». Dans la Nièvre, comme à Arleuf avec Dussert ou à Onlay avec les Terrines du Morvan, les Salaisons Dijonnaises se diversifient avec du jambon sec, des terrines et du saucisson. Mais à Dijon, loi des origines oblige, on fait du jambon persillé et rien d’autre. « On en produit 4 tonnes quotidiennement, et pour ça, il faut une structure volumineuse », commente Arnaud Sabatier. Soit quand même 20 tonnes de persil utilisé par an ! Et de nouveaux investissements en prévision, pour un process de production encore plus ergonomique, ainsi qu’une démarche IGP à l’horizon 2022.
David et Arnaud vivent dans deux mondes que tout oppose en apparence. « Nous portons tous deux le nom de Sabatier avec honneur », rectifie cependant l’artisan, qui voit dans l’œuvre de son oncle et de son cousin une autre façon de démocratiser le jambon persillé, car « les Salaisons Dijonnaises l’ont porté au niveau national ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Nous sommes leaders sur le marché national, avec plus 40 % de la production, soit 1 000 tonnes chaque année, rappelle Arnaud. Avec mon cousin artisan, nous couvrons l’ensemble des attentes du marché ».
Cent ans après son arrivée aux halles, Sabatier fait entrer ses produits dans l’ère de la grande distribution. Récemment, elle a changé le conditionnement de son persillé de Bourgogne (Label rouge), pour le proposer en terrine rectangulaire de 2,5 kg. © Image et Associés
Au nom du persillé
Au-delà du cercle familial, l’affaire est parfois sujet à de petites guerres de chapelle. Refusé au concours de la confrérie Saint-Antoine, qui revendique une posture 100 % artisanale, le jambon persillé des Salaisons Dijonnaises va glaner les récompenses, médaille d’or comprise, au concours agricole de Paris.
À l’inverse, chez Marcel Sabatier, c’est sur le travail reconnu du chef charcutier Jean-Michel Collot, issu d’une longue lignée d’hommes de l’art (et de lard), et les vertus aromatiques du porc limousin fermier que l’entreprise artisanale a remporté pas moins de trois fois la médaille d’or de Saint-Antoine . « On ne nous enlèvera pas notre histoire commune. La force des Sabatier, c’est que nous avons toujours fait du jambon persillé », répliquent en chœur les deux cousins.
Alors que l’obtention de l’IGP est de plus en plus proche, cette logique des différences s’estompe avec le temps. Roger, Marcel et Serge, les trois frères de la rue d’Auxonne, se retrouvent d’ailleurs assez régulièrement autour d’une table ou à l’occasion du rituel anniversaire de la grand-mère, née un certain 11 novembre 1918, jour de l’Armistice, ça tombe bien ! Accompagné d’un aligoté vif et gourmand, dès le début des retrouvailles, le jambon persillé fait alors son job. Il est le lien que tout Bourguignon digne de ce nom a l’obligation d’honorer. —