— Sous la voûte étoilée d’une cuverie extraordinaire revit l’âme des Ursulines. Sur les vestiges d’un ancien couvent, la Maison Jean-Claude Boisset (Nuits-Saint-Georges) a remis en symbiose la nature et le vin. Entre cosmos et spiritualité, entre ciel et terre, retour sur une histoire qui ne nous fera plus boire les choses comme avant.
Pauvre Ursula. Elle a tout juste 8 ans. De retour de Rome, les Huns l’enlèvent à Cologne. Elle et onze de ses amies martyres vierges sont traversées par les flèches. Tout ça pour avoir refusé d’épouser le chef barbare. Le syndrome de Stockholm n’a pas eu de prise sur elle. Aussi Ursus signifie « la petite ourse ». Sans doute était-elle née pour rejoindre les étoiles. Ursula inspirera l’ordre de Saint-Ursule. Fondé à Brescia (Italie) en 1535, celui-ci se consacrera en grande partie à l’éducation et à la protection des jeunes filles. Un travail de Femen en version voilée avant l’heure. Les Ursulines feront leur entrée en France au tout début du XVIIe siècle. Puis se développeront en Bourgogne-Franche-Comté. À Dole, Autun, Dijon, Beaune et enfin Nuits-Saint-Georges en 1634. Les conflits de la Ligue, entre catholiques et protestants, ont laissé des traces. On en veut bien de ces Ursulines, mais pas entre les murs de la ville. Qu’elles aillent de l’autre côté du Meuzin !
Claudine (de) Boisset
Peu importe. Bonnes gestionnaires et habiles avec les édiles autant qu’avec le peuple, elles tracent leur voie. Après une première acquisition réalisée auprès du vigneron nuiton Denis Dufouleur (un nom éminemment local !), les Ursulines ne cessent de se développer. D’origine sociale plutôt élevée, ces filles de notaires, avocats, juges, chirurgiens ou militaires respectent leur vœu de pauvreté mais ne s’en laissent pas compter. À la Révolution, elles sont une quarantaine. Église, cloitres, salles, réfectoires, cellules… les équipements sont le reflet de leur engagement. Et, en même temps, de leur incontestable utilité. Le couvent, édification majeure en 1717, parachève leur œuvre. Jusqu’au démantèlement de leurs biens qui les oblige à se retirer au sein d’autres congrégations. Fin du chapitre spirituel.
1983. Jean-Claude Boisset rachète la maison de négoce Lionel J Bruck et le site des Ursulines. Seules quelques fondations, une crypte et trois ou quatre vestiges ont survécu à l’épreuve du temps et des convoitises. L’homme d’affaires et du vin, partout où il passe, est attaché à l’histoire des lieux dont il devient le propriétaire. D’autant que derrière l’acte notarié pointe une drôle de coïncidence : Les Ursulines doivent beaucoup de leur ancrage en Bourgogne à une mère supérieure au nom de… Claudine de Boisset. À une particule près, le nom exact de son épouse.
La petite ourse des Ursulines
Il décide alors de faire revivre le couvent, en en faisant le sanctuaire d’élaboration des vins de la maison qui porte son nom. Cela prendra un peu de temps. Derrière la signature Jean-Claude Boisset, il y a la réalité d’un volume équivalent à 40 hectares confié à l’inspiration du vinificateur Grégory Patriat. Pour produire des vins élevés… entre ciel et terre. La création et le cosmos sont les maitre-mots d’une politique culturale qui s’en réfère à ce que le ciel propose.
Tout cela donne un sens profond au grand projet de renaissance des Ursulines. L’architecte de Versailles, Frédéric Didier, bourguignon de cœur, réveille la conscience d’Ursula. C’est sa première cuverie. Il l’imagine sous un dôme végétalisé. À l’intérieur, une voûte étoilée laisse passer en son centre un puits de lumière. La « petite ourse » est ici chez elle, au cœur de cette envoûtante constellation. Le propos architectural est inédit. Sépulcral au sens beau du terme. Un vitrail allégorique représentant une feuille de vigne achève la scène dans sa dimension spiritueuse autant que spirituelle à nouveau. Trois siècles tout juste après sa construction, le couvent renait. Son cloître fonctionne comme un arbre qui ferait remonter des profondeurs du sol, sa propre sève perdue dans l’oubli. Il est neuf et en même temps habité par l’âme des Ursulines. Une âme qu’on imagine volontiers se promenant et se recueillant dans les jardins à la française « où se croisent en son axe tellurique le vortex, et en son axe historique, la sphère armillaire face au promenoir ». Plus inspiré que ça, tu meurs et fonces tout droit au Paradis. Amen aux Ursulines, grâce à elles, on ne pourra plus boire les choses comme avant. —
Propos inspirés de la monographie d’Étienne Breton-Leroy, Les Ursulines de Nuits-Saint-Georges (oct 2018), réalisée pour la Maison Jean-Claude Boisset.
La cuverie des Ursulines, naturellement inspirante
De profil, en vis-à-vis : Grégory Patriat, le viniculteur des Ursulines, et Nathalie Boisset, fille de Jean-Claude Boisset. Ils ont accepté de poser dans une ambiance surnaturelle, hors du temps, pour notre photographe Jean-Luc Petit. Derrière cette mise en scène onirique, il y a la les vins issus de 40 hectares de vignes, qui portent le nom du père fondateur du groupe familial viticole en 1961, et intègrent un cahier des charges de très haute exigence environnementale. Dans ce bâtiment passif, très peu consommateur d’énergie, on élève des vins en majorité sans souffre, des cuvées bio et… quelques « blancs sur des terroirs de rouges et vice-versa », principalement issus des prestigieuses Côte de Nuits et Côte de Beaune. Pour un style naturel assumé, qui n’exclut pas la prise de risque comme on a pu le constater à travers la préoccupation affichée par Grégory, en octobre 2020, au moment de notre reportage.