Adjointe au maire de Dijon déléguée au commerce, à l’artisanat et à l’attractivité, mais aussi vice-présidente de la Métropole déléguée à l’économie et au marketing territorial, Danielle Juban répond à nos questions sur la place du centre-ville historique dans l’agglomération, et sur la préservation de son attractivité, condition nécessaire au bon développement du territoire.
Propos recueillis par Geoffroy Morhain – Photos : Christophe Remondière (sauf mention contraire)
En quoi la « métropolisation » du Grand Dijon est-elle liée à l’attractivité du centre-ville ?
En devenant une communauté urbaine en 2015, puis une métropole cette année, l’agglomération dijonnaise, qui est désormais l’une des 13 capitales régionales, s’est donnée les moyens de rayonner davantage en France et à l’international, et de travailler encore mieux avec les villes et les territoires de la Bourgogne-Franche-Comté. La construction d’une intercommunalité plus solide, plus profonde, est nécessaire pour proposer aux habitants des services publics de qualité dans le cadre d’une mutualisation des moyens, et renforcer ainsi l’attractivité de notre territoire. Celui-ci s’organise autour de centralités, dont la première est le centre-ville de Dijon. Par son histoire et son patrimoine, sa puissance économique et culturelle, le cœur de la métropole concentre l’ensemble des fonctions qui caractérisent une centralité forte, indispensable au rayonnement de la capitale régionale.
Sur un territoire à l’échelle de l’agglomération, les centres secondaires et les banlieues se multiplient, alors que le centre-ville historique reste par définition unique. Comment faire pour que le développement des grandes zones commerciales périphériques ne tue pas le centre-ville ?
Le développement d’une offre commerciale périphérique est souvent considéré comme un danger pour les centres-villes. Les études récentes prouvent que, dans beaucoup de villes moyennes, les centres souffrent face aux zones marchandes créées autour des agglomérations. Il faut rappeler d’abord que ces espaces commerciaux périphériques ont répondu à un besoin de surfaces importantes, notamment pour la grande distribution, que les centres-villes ne pouvaient satisfaire. Il faut souligner aussi que les comportements de consommation ont évolué : la place prise par la voiture a été un facteur essentiel dans la croissance du commerce périphérique. Aujourd’hui, le développement du commerce par internet interroge à nouveau nos modes de vie : les clients sont désormais, en particulier dans les grandes villes, demandeurs d’ouverture dans des temporalités nouvelles telles que la pause méridienne, la soirée ou le dimanche. Les commerces de proximité eux-mêmes se trouvent aujourd’hui confrontés à l’activité croissante des marchés de commerces non-sédentaires, dont le chiffre d’affaires a progressé de 10 % en un an, ou encore des supérettes de proximité, qui pratiquent des amplitudes horaires très larges et dont le pic de fréquentation se situe plutôt autour de 20 heures.
En quoi l’embauche d’un « manager de centre-ville » peut répondre à cette nouvelle donne socio-économique ?
L’embauche d’un manager correspond souvent à un souci de rééquilibrage entre le centre-ville et le développement du commerce périurbain. Dijon souhaite ce rééquilibrage, dans une logique de développement de l’ensemble du territoire du centre-ville, des quartiers et de la métropole. C’est pourquoi ce manager apparaît dans l’organigramme de Dijon Métropole et assume également la direction du commerce et de l’artisanat, ce qui le met en capacité d’apprécier toutes les échelles et tous les équilibres à l’échelle de l’agglomération. L’approche du manager de centre-ville est pluridisciplinaire : il connaît et comprend les secteurs du commerce et de l’artisanat, le fonctionnement et les enjeux pour le territoire. Tout en accompagnant les professionnels, il intègre les développements de la ville et coordonne l’ensemble des acteurs. En termes de moyens, son positionnement à la direction lui permet de s’appuyer sur une équipe d’une quinzaine de personnes, avec des compétences en matière d’animation commerciale, de gestion du domaine public et des commerces ambulants, de suivi des professionnels et de questions réglementaires…
Plutôt qu’un « manager de centre-ville », ne faudrait-il pas plutôt un « manager de territoire » pour éviter les oppositions et déséquilibres dans l’offre commerciale à l’échelle de l’agglomération ?
Notre « manager de centre-ville » est bien en réalité un « manager du territoire ». En revanche, il nous faut envisager la construction du territoire à l’échelle de la métropole, chaque commune devant adhérer à l’élaboration cohérente et équilibrée du développement des commerces et de l’artisanat. De même, dans le cadre du déploiement de la marque de territoire, nous devons nous appuyer sur la représentation des professionnels afin d’intégrer leurs logiques et leurs contraintes, et de les associer à notre volonté de renforcer encore l’attractivité de l’agglomération.
L’attractivité culturelle du centre-ville est-elle un gage de son dynamisme commercial ? Et vice-versa ?
La ville et notamment son centre-ville sont pluriels. Toutes les fonctions et tous les usages y sont agrégés. Le centre-ville représente l’agora et la diversité de tous ceux qui le pratiquent. L’attractivité culturelle est complémentaire de l’attractivité commerciale. Chacune enrichit l’autre. D’autres fonctions participent de cette agrégation comme le tourisme ou les services – n’oublions pas le rôle essentiel que jouent les professionnels libéraux (médecins, avocats…) et les administrations, qui génèrent des flux importants.
La venue de grandes enseignes internationales est-elle une condition nécessaire à la création d’un flux commercial conséquent au centre-ville ?
La venue de grandes enseignes est une condition nécessaire mais pas suffisante. Un commerce standardisé peut perdre une partie de son attractivité par le jeu des phénomènes de mode. L’enseigne incontournable un jour voit parfois sa clientèle s’effondrer le lendemain ! Il faut composer une offre diversifiée où le commerce indépendant propose des produits différenciés. La collectivité ne peut, en la matière, qu’accompagner le secteur privé.
Le centre-ville de Nevers affiche un taux de vacance commerciale (ndlr, la proportion de locaux commerciaux vides) de plus de 15 %, alors que Beaune est à moins de 5 %. Où se situe Dijon en la matière et dans quelle mesure ce chiffre est un bon indicateur de la santé d’un centre-ville ?
La taille et la typologie de Dijon, Beaune et Nevers sont extrêmement différentes. La comparaison entre ces villes serait pour le moins hasardeuse. Dijon est plutôt bien située, avec un taux de vacance commerciale de 5,5 % et une tendance à la baisse dans les analyses intermédiaires. Les études indiquent qu’en la matière, les métropoles et des villes balnéaires ou touristiques s’en tirent mieux que les autres car leurs commerces bénéficient d’une densité de flux plus importante et plus diversifiée et, d’autre part, parce que leurs commerces se sont organisés pour s’adapter aux mutations des comportements de consommation. Dijon bénéficie de conditions favorables pour anticiper les fragilités du tissu commercial en général et de son centre-ville en particulier. Le classement en zone touristique internationale de notre centre-ville permet aux commerçants de s’adapter aux changements en termes de panier d’achat, de sélection des produits et surtout de plages horaires. Les clients veulent connaître et comprendre ce qu’ils achètent (origine destination, type de fabrication, composition…) et souhaitent aujourd’hui vivre une véritable expérience de consommation. Cette expérience n’est pas monofonctionnelle : elle intègre par exemple le plaisir, le culturel, le ludique. Les temporalités de la ville sont diverses avec un mélange des fonctions et des usages. Le centre-ville a tous les atouts pour satisfaire cette envie de diversité. C’est une chance pour les commerces qui y sont implantés.
Remplir les espaces commerciaux est une chose, mais la plupart des magasins de centre-ville sont des banques, des vendeurs de téléphonie ou de vêtements. Où sont passés nos poissonniers, nos quincaillers d’antan ? Leur présence en hyper-centre est révolue ?
Il est vrai que certaines filières comme le bricolage sont désormais très peu représentées dans les centres-villes. Services ou prêt-à-porter constituent en effet une part importante de l’offre commerciale du cœur de ville. Mais regardez bien ce qui se joue aujourd’hui, en particulier le retour d’une offre commerciale alimentaire de qualité : épiceries fines, cavistes, boutiques bio, magasins thématiques ou spécialisés… Observez également le dynamisme du marché central, l’attente très forte à l’égard de ce genre d’offre commerciale, qu’atteste le succès du Brunch des Halles. Sous les halles, les poissonniers, puisque vous évoquez ce métier, sont bien présents, et de plus en plus nombreux, proposant des produits nouveaux et des services diversifiés.
Plus le centre-ville est attractif, plus les loyers sont chers par rapport au potentiel commercial du secteur : une quadrature du cercle pas facile à résoudre…
Si le centre-ville est attractif et que les chiffres d’affaires augmentent, les loyers ont tendance, par le jeu du marché, à croître. Si Dijon n’est pas la ville la plus chère, loin s’en faut, les loyers ne sont toutefois pas toujours conformes à la réalité économique. Nous sommes vigilants sur ce point et j’appelle les propriétaires à faire preuve de raison. Au centre-ville de Dijon, nous souhaitons, avec certains partenaires économiques, mettre en place des indicateurs de valeurs locatives moyennes afin d’aider à la fluidité des transactions et d’éviter des distorsions dans les échanges qui créent par la suite des situations de faillite, de blocage et d’échec. Cette action est relativement innovante et intéresse d’autres villes qui attendent notre retour d’expérience.
Comment imaginez-vous le centre-ville dijonnais dans une dizaine d’années ?
J’espère que nous aurons cueilli le fruit de notre travail et créé un centre-ville animé, diversifié qui réponde aux attentes du plus grand nombre. Le commerce et l’artisanat proposent des parcours de vie et portent des savoir-faire que nous devons transmettre aux générations futures. Je suis très optimiste, même si les fragilités du commerce peuvent produire des situations personnelles difficiles. Nous avons la capacité de surmonter des problèmes complexes, mais il faut pour cela jouer collectif, associer les compétences de tous les acteurs. Dijon apportera la preuve qu’en travaillant tous ensemble, le centre-ville a un très bel avenir devant lui.