— Il se partage entre Paris et les bureaux du siège d’APRR à Saint-Apollinaire. Philippe Nourry supervise l’ensemble du réseau autoroutier d’Eiffage, soit plus de 2 500 km essentiellement basés dans l’est de la France. Un réseau soucieux de son rôle pour préserver l’environnement, qui veut désormais voir en vert et vivre à l’heure du numérique. Le PDG confie à Dijon Capitale ce qu’est déjà en partie l’autoroute de demain.
On peut être à la tête d’un grand groupe et avoir, au plus profond de soi, de louables instincts. Dans le contexte d’un confinement qui ajoutait de la lourdeur à la situation, Philippe Nourry cosignait ainsi en 2020, une tribune relayée par le Huffington Post, alertant l’opinion sur la vague estivale d’abandons des animaux, « 40 000 chaque année ». L’autoroute est le théâtre récurrent de ces drames. « Cela provient de l’idée reçue qu’il n’est pas grave d’abandonner son animal sur une aire, car il y aura bien quelqu’un pour le recueillir. » Face au bouleversement régulier de ses agents et au débordement des refuges SPA, Philippe Nourry prône en amont « l’interdiction de l’achat ou du don d’un animal en quelques clics sur internet, car l’adoption ne peut s’apparenter à l’achat d’un meuble, dont on se débarrassera l’année prochaine. »
À l’évidence, le PDG de l’ensemble des concessions autoroutières d’Eiffage (APRR, AREA mais aussi ADELAC près de la frontière suisse, A’LIENOR dans le sud-ouest et la CEVM à Millau) ne limite pas la vision de son environnement à un compte d’exploitation déroulé sur le bitume : « Nous sommes passés d’une culture de l’usager à une véritable culture du client. Quand je suis arrivé dans le monde autoroutier en 2006 (ndlr, année de la privatisation des autoroutes), les automobilistes étaient perçus comme captifs, on ne s’en occupait pas vraiment, considérant qu’il s’agissait pour eux d’un passage obligé. En réalité, acquitter un péage leur donne droit à un service. »
Philippe Nourry, enfant du pays
Une évolution qui s’est accentuée depuis le début des années 2000, avec la mise en place de plans d’investissements prenant en compte la globalité d’un univers large et complexe, à la souche très dijonnaise. Depuis 1975, Saint-Apollinaire est en effet le siège historique du réseau de l’est de la France. L’agglomération bourguignonne en est aussi le barycentre. 400 personnes y travaillent sur les 3 500 salariés employés par APRR, filiale d’Eiffage (APRR c’est environ 2,8 milliards d’euros de chiffres d’affaires ou 15 % de celui réalisé par Eiffage).
Philippe Nourry a lui-même une relation forte avec le territoire originel de l’entreprise qu’il préside. On doit à son père, qui fut un pionnier parmi les architectes paysagistes, l’aire de Jugy en Saône-et-Loire. Bisontin d’adoption, il fit deux années de « prépa » à Dijon avant de signer son entrée chez Eiffage. Autant dire que c’est un enfant du pays.
« Galerie d’art à ciel ouvert »
L’une de ses grandes fiertés, c’est qu’APRR se situe depuis plusieurs années dans le peloton de tête du classement des meilleurs employeurs en France, établi chaque année par les magazines Capital et Management. Le bien-être humain est une préoccupation en interne autant qu’à l’endroit de la clientèle. Le contexte a cependant bouleversé les plans. Pas que d’un point de vue financier. En septembre, l’activité était en baisse de 20 % sur les 2 500 km du réseau. Le pic d’avril (80 % de réduction du trafic) puis, dans une moindre mesure, le deuxième confinement, ont imposé un nouveau défi : « La crise importante des Gilets jaunes avait été surmontée en ressoudant les équipes, avec le Covid, les relations sont devenues plus complexes, la distanciation sanitaire a supprimé les contacts et développé l’anxiété. » Cette situation est heureusement gérée avec ménagement par APRR, qui bénéficie d’une structure financière plutôt solide.
Dans le quotidien des autoroutes, la métamorphose est à la fois culturelle, territoriale et verte. Le renouvellement des panneaux par exemple. « Ils n’étaient plus adaptés, les collectivités connaissaient leur potentiel pour valoriser le territoire, mettre en valeur leurs richesses culturelles et touristiques. » APRR s’est donc lancé, il y a cinq ans, dans une ambitieuse opération de « rhabillage » de son réseau, en créant ce que Philippe Nourry décrit comme « une véritable galerie d’art à ciel ouvert, avec des dessinateurs de BD reconnus, un travail passionnant à conduire avec notamment les Départements ».
Il n’aura échappé à personne, en suivant le cours de l’A6, que le trait de Floc’h a propulsé l’autoroute dans une nouvelle ère, celle d’un acteur du développement du territoire. Ces panneaux sont globalement financés à 50/50 par l’opérateur et la collectivité partenaire, sur la base d’un budget moyen avoisinant 40 000 euros par panneau. Au-delà de leur mission sécuritaire, à savoir exciter l’attention de l’automobiliste pour éviter son assoupissement, ils constituent un extraordinaire outil de découverte. À l’heure du grand retour au tourisme de proximité, l’atout est de taille. Alors que le programme est engagé aux trois quarts, « une étude d’impact démontre que certains sites ont bénéficié, grâce à ces panneaux, d’une croissance de 20 à 30 % de leurs visiteurs ! » À ce rythme, la question du retour sur investissement ne se pose même pas. APRR pousse plus loin encore la démarche. Le groupe autoroutier proposera bientôt une information numérique sur les sites, en connectant directement les panneaux et les smartphones repérés dans les véhicules passant devant eux.
Objectif 350 bornes
Du numérique à l’environnement il y a un pas vite franchi. « Nous avons conscience de notre incidence sur l’environnement. 20 % des émissions de carbone du secteur des transports en France proviennent des autoroutes. Ce même secteur représente à lui seul un tiers de la totalité des émissions de carbone en France », poursuit Philippe Nourry depuis l’impressionnant PC central, certifiant que cette question constitue « l’axe majeur de notre futur plan stratégique ».
Concrètement, le développement du covoiturage ne génère pas « une perte de clientèle, au contraire, il en attire une nouvelle qui partage les coûts de ses déplacements ». Les parkings de covoiturage passeront donc de 4 500 places à 6 000 fin 2021, puis à 8 000 fin 2023. Une trentaine de stations proposent actuellement 150 bornes de recharge électrique très haute puissance, l’ambition est d’atteindre rapidement 350. L’usage même de l’autoroute prend un virage vert et numérique. « Du côté de Grenoble, nous venons de mettre en service la première voie réservée au covoiturage en France sur 8 km d’autoroutes, réservée aux véhicules comprenant plus de deux passagers, aux taxis et aux véhicules électriques. » Le projet sera soutenu par le développement du contrôle et de la reconnaissance faciale avec des radars réalisés par une entreprise bourguignonne. Répondant aux aspirations de l’État, la vidéo verbalisation entrera en scène prochainement.
Ce genre de mesures et une gestion toujours plus rigoureuse de la régulation des vitesses vont dans le sens d’une transition écologique de grande envergure. On verra aussi fleurir des portiques « free flow » (voir vidéo ci-dessous). Ces péages sans barrières fonctionneront grâce à des badges et un système de reconnaissance des plaques. Ils mettront un terme aux arrêts et redémarrages polluant des véhicules, les poids lourds notamment. Il est aussi question de créer, aux abords des métropoles, de véritables hubs qui permettront aux voyageurs de poser leur voiture à la sortie de l’autoroute pour emprunter aussi des transports collectifs.
La grande mutation d’APRR est donc bien engagée. Et les animaux, dans tout ça ? Ils pourront eux-mêmes écrire leur chapitre. « On va construire une vingtaine de passages à faune, de grand gabarit (25 m de large), pour permettre le passage de la grande faune », promet Philippe Nourry. Une signalétique visible depuis les véhicules accompagnera, avec un minimum de pédagogie, le sens donné à ces ouvrages. Les automobilistes pourront ainsi se dire qu’ils ne sont plus seulement les seuls « usagers-clients » de l’autoroute, mais qu’ils pourront croiser sur celle-ci, quelques vieux sangliers et chevreuils en quête de leur propre transhumance ! —