— La formidable collection de menus de la bibliothèque de Dijon a été enrichie en 2017, par la générosité de Guillaume Gomez. Le chef de l’Élysée a remis 1100 menus présidentiels. Dijon Capitale, avec la complicité de l’Union des producteurs et élaborateurs de Crémant de Bourgogne , accorde trois de nos crémants avec trois plats servis sous de Gaulle, Mitterrand et Chirac. Le chef étoilé de Loiseau des Ducs Louis-Philippe Vigilant a relevé le défi en cuisine. Le résultat est là : nos bulles sont de haut niveau. Présidentiables !

Charles de Gaulle (1959-1969)
La terrine de Tante Yvonne

Le 7 avril 1967, de Gaulle s’entretient à l’Elysée avec le vice-président américain Hubert Humphrey. Sujet du jour : traité de non dissémination des armes atomiques. Menu du jour : en amont d’une selle de pauillac rôtie, un filet de sole Colbert. Le choix de ce poisson défait de ses arrêtes, pané à l’anglaise et frit, n’est pas dépourvu de sens. Le général avait la réputation d’un homme frugal, qui aimait les soupes… et les petits pois. À table, pas de chichi, y compris à l’Élysée. Pas plus de hors-d’œuvre que de pousse-café. Horaires stricts et repas minuté. Cinq plats maximum, une préférence pour les volailles, la sole parmi les poissons favoris et des desserts glacés, histoire de finir sur une note… un peu froide. Militaire un jour, militaire toujours. Mais il y a aussi le de Gaulle en famille. Dans la propriété de la Boisserie, en Haute-Marne, on le voyait plutôt adepte d’une cuisine bourgeoise, rassurante, affectionnant « des plats francs du collier où l’on voit ce qu’on mange ». Fidèle à sa légendaire rigueur, il tenait à régler lui-même ses achats de viande nivernaise. Au sommet de ses préférences, on n’en sera pas surpris, on retrouve la terrine de lapin de tante Yvonne. Qu’il n’aurait pas pu partager avec les Anglais, tant ils préfèrent avoir les lapins en animal de compagnie plutôt que dans l’assiette.

Côté bulles. Nous sommes dans un registre classique. Un crémant de Bourgogne blanc de blancs (c’est-à-dire produit à 100 % avec du chardonnay), aux reflets dorés et aux arômes de fleur blanche, apporterait ce qu’il faut de vivacité pour ajouter du relief à ce plat fin et doux. Un millésimé pourquoi pas, car nous sommes bel et bien dans une dimension gastronomique.     —


François Mitterrand (1981-1995)
Chaudrée et ortolans

Ce plat fut servi le 21 janvier 1963 à l’occasion de la signature du traité franco-allemand, sous de Gaulle. Vingt ans après, jour pour jour, François Mitterrand a proposé le même menu. Le turbot soufflé amiral est en principe farci avec du saumon ou d’autres poissons avec du caractère. Il relève de la haute gastronomie, a une dimension solennelle. Il est, en la circonstance, le poisson de la réconciliation et du grand pardon.

Le président de la République s’en est sans aucun doute très bien acomodé. Maître incontesté de l’ambiguïté, il pouvait tout aussi bien se laisser aller vers des plats dits de « gauche caviar », que savourer une douzaine d’huitres en toute simplicité, ou encore frôler l’interdit en mangeant les ortolans par la tête, sous sa serviette, une passion partagée avec Alain Juppé. 

Multifacettes dans la vie publique, il l’était à table. La chair délicate d’un passereau l’intéressait tout autant qu’une étape familiale dans des auberges discrètes auxquelles il restait fidèle. On lui accordait, quoiqu’il en soit, de véritables qualités de gourmet. À Paris, rapporte la La Revue pour l’intelligence du monde, Mitterrand fréquentait régulièrement la table La Cagouille, avec ses amis Pierre Bergé et Georges Kiejman. On imagine à quel point la Chaudrée (soupe de poisson épaisse originaire de Charente-Maritime), servie par cet établissement pouvait inspirer trois esprits aussi brillants. Dans Les saveurs du Palais (2012), Jean d’Ormesson incarne délicieusement un président raffiné, servi en cuisine par la talentueuse Catherine Frot et, dans le rôle du sommelier, le vigneron-acteur de Meursault Jean-Marc Roulot. Comme lui dans le film, François Mitterrand a eu pendant deux ans une cuisinière cachée. Comme lui aussi, il a demandé une chaudrée pour, le 10 mai, célébrer l’anniversaire de son élection en 1981.

Côté bulles. Ce turbot soufflé a du tempérament. Poché au vin blanc, il apprécierait, paradoxalement, de se poser sur des notes délicates de fruits rouges et légèrement sucrées d’un crémant de Bourgogne rosé bien maîtrisé.    —


Jacques Chirac (1995-2007)
Le mythe de la tête de veau

« Quand j’ai faim, je deviens hargneux ! (…) Un morceau vite fait, le temps de retrouver ma bonne humeur, je suis condamné à bouffer sans arrêt, je n’ai pas le choix. » Ainsi se confiait Jacques Chirac au journaliste Franz-Olivier Giesbert. On aura d’ailleurs tout entendu à son propos. Car il ne faisait rien pour cacher son appétit d’ogre. Charcuterie et fromage à volonté pendant un marathon de six heures au Salon de l’agriculture, deux boîtes de cassoulet avalées au retour d’un voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon, Danette au chocolat et Corona… « Chichi » s’affichait pourtant comme le président du Chablis et du Sauternes. Peut-être moins du crémant de Bourgogne. Mais en réalité, il n’avait pas beaucoup de limites.

Sa gouaille et sa sympathie naturelle lui ont collé une étiquette de mangeur de plats canailles, d’abatteur d’abats. En partie vrai seulement. Car la fameuse tête de veau qui lui faisait soi-disant tourner la tête, n’a été servie que deux fois sous sa mandature à l’Élysée, à sa demande. Jacques Chirac l’insatiable avait aussi un faible pour la subtile cuisine asiatique qu’il connaissait bien. Fan de sumo et d’arts premiers, il savait entretenir ses jardins secrets.

Pour sa gourmandise posthume, le chef dijonnais Louis-Philippe Vigilant a choisi de réaliser un chevreuil grand veneur, comme il en fut servi un certain 28 mai 1996, à l’occasion de l’annonce de la suppression du service militaire. Autant dire que le tir, ce jour-là, avait été meilleur pour le chasseur que pour l’armée. Pour le reste, le président savait habilement jouer de son CV de mangeur de pain, pâté et saucisson. Ainsi cette anecdote qui remonte à 2005 : face à un Poutine et un Schröder que l’on imagine médusés, le président français habille les Britanniques pour le restant de l’hiver : « On ne peut pas faire confiance à des gens qui mangent aussi mal. Après la Finlande, c’est le pays où l’on mange le plus mal. » Tout lui ça.

Côté bulles. Un plat de gibier, grand veneur qui plus est, doit chercher dans l’effervescence ce qu’il faut de profondeur et d’assise. Rien de tel qu’un crémant de Bourgogne blanc de noirs (avec le cépage pinot noir donc) qui pourrait proposer, face au sucré-salé, ce qu’il faut de puissance et d’élégance.     —

— Le chef de l’Élysée a cédé de bon cœur 1 100 menus présidentiels à la bibliothèque dijonnaise, complétant ce qui était déjà une incroyable collection. En refaisant ces trois plats accordés au crémant de Bourgogne, Louis-Philippe Vigilant démontre qu’un cuisinier ducal vaut bien un cuisinier présidentiel. Mais on ne va quand même pas refaire l’histoire.

3 000 pièces, 9 600 menus numérisés. La collection de la bibliothèque de Dijon couvre deux siècles de banquets, ripailles et autres fêtes gourmandes. L’idée de faire de la capitale des ducs une capitale des menus remonte aux années 80. Au départ, il y a le fonds Muteau, cédé par la commune de Fauvernay en 1974, du nom d’une puissante famille locale de magistrats et politiques. Un ensemble documentaire de près de 10 000 ouvrages et documents de toutes sortes, autant de témoignages de la vie en société. Alfred Muteau, officier de la marine puis député sous la IIIe république, avait un parcours parlementaire ponctué de repas dont on trouve la trace généreuse à la bibliothèque. Au cours des années 80, le journaliste du Bien Public Jean Bourgeois fait don quant à lui de 500 menus qui en disent autant sur la période du chanoine Kir (maire de Dijon de 1945 à 1968), que n’importe quel ouvrage d’histoire. Ces deux premiers apports, auxquels il convient d’ajouter une acquisition de 5 000 menus auprès du collectionneur auxerrois Maurice Piat, constituent déjà un socle de documentation exceptionnel. L’apport de Guillaume Gomez en 2017 ne fait donc que renforcer le positionnement de la bibliothèque en la matière. 1 100 menus présidentiels permettent d’en apprendre comme jamais sur les us et coutumes de l’Élysée, au gré des présidents qui passent.
Louis-Philippe Vigilant, le chef étoilé de Loiseau des Ducs, sis tout près du palais des ducs, connaissait déjà l’existence de ces trésors gastronomiques, qu’il avait eu l’occasion d’extirper des archives, sauf erreur de notre part, pour un grand banquet organisé dans les salons de l’Hôtel de ville. Trouver un menu pour illustrer la mandature de chacun des trois présidents que nous avions choisis a donc été pour lui un jeu d’enfant. C’est comme un gosse, d’ailleurs, qu’il s’est amusé à refaire les plats, s’improvisant, le temps d’un exercice d’accord mets et crémants de Bourgogne, en Guillaume Gomez ducal. Après tout, nos ducs n’avaient-ils pas autant d’influence que nos présidents de la République, à table comme ailleurs ?     —